L’organisation d’une société de gaspillage

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Alors que les décharges à Hong Kong seront pleines en 2018, et que les alternatives ne sont pas encore trouvées, il est désormais l’heure de parler des déchets.

Photo: une décharge à ciel ouvert à Tseung Kwan O (SCMP).

HONG KONG 香港 – L’année dernière, plus de 13 458 tonnes de déchets ont été déversés tous les jours dans les trois grandes décharges de Hong Kong. Selon les statistiques publiées en Octobre par le Département de la protection de l’environnement (EPD), 8 996 tonnes étaient des déchets solides municipaux (MSW) – de type commun, produits par les ménages et les entreprises. Soit l’équivalent de 1,27 kg produits par chaque femme, chaque homme et chaque enfant à Hong Kong tous les jours. Le poids de la Tour Eiffel à Paris est enterré dans les décharges de la ville toutes les 24 heures, et, sans surprise, ces énormes trous vont commencer à déborder très bientôt.

Le fait est que les Hongkongais produisent beaucoup plus de déchets que leurs voisins. Les estimations de l’EPD indiquent que le premier site d’enfouissement sera complet en 2014, et que les deux autres le seront d’ici 2018 au plus tard. Ceux qui pensent cependant qu’au gouvernement il existe déjà un plan global afin de résoudre le problème et éviter le risque de voir des sacs noirs puants traîner d’ici quelques temps à Hong Kong se trompent. C’est une crise naissante à laquelle personne ne veut faire face. Pas étonnant que de nombreux groupes écologiques commencent à enrager et exhortent le gouvernement à prendre des mesures radicales pour résoudre le problème.

« Oui, il y a bien une crise qui se profile », explique Ellen Chan Ying-lung, directrice adjoint de la division des infrastructures de l’environnement à l’EPD, division responsable de la gestion des déchets. ‘Dr Trash’, comme elle est parfois peu flatteusement surnommée est courtoise, érudite et éloquente. « Cette préoccupation n’est pas exclusive aux groupes écologistes. Beaucoup pensent que nous sommes des bureaucrates à sang froid qui ne savent pas ce que nous faisons », ajoute-t-elle. « Nous faisons la promotion de la réduction des déchets depuis longtemps. Nous nous efforçons de promouvoir ce message et nous nous sommes engagés avec les groupes écologistes et les ONG pour y parvenir, mais il est utopique de dire que le recyclage va résoudre le problème. Nous avons besoin d’infrastructures, aussi. « 

Par le mot ‘infrastructure’, Mme Chan signifie ce fameux incinérateur tant controversé – le ‘Integrated Waste Management Facility’, de son nom officiel – qui est prévue d’être installé sur une nouvelle île artificielle à Shek Kwu Chau, au large de la côte sud de l’île de Lantau. Le projet est en proie à un long examen judiciaire, et à des inquiétudes sur la technologie utilisée et l’emplacement. « Même si le contrôle judiciaire va dans notre sens, rien ne sera mis en service avant 2020, deux ans après que toutes les décharges existantes aient été remplies », indique Mme Chan. « C’est pourquoi nous devons étendre la capacité des trois décharges le plus rapidement possible. »

Les critiques disent que le gouvernement tergiverse depuis trop longtemps et se perd en conjonctures avec des solutions inadéquates. Pourquoi rien n’a été fait depuis tant d’années ? « C’est une question très difficile si vous en parlez aux politiciens en place, ce n’est jamais le bon moment, il y a toujours mille excuses. C’est tellement plus facile de parler de simple recyclage » déclare Mme Chan. Même si l’incinérateur se construit, sa capacité ne serait que de 3 000 tonnes par jour, à peine suffisant pour faire face aux 13 500 tonnes de déchets que produisent les hongkongais tous les jours.

Il semble cependant que quelques soient les décisions prises désormais, c’est beaucoup trop peu, trop tard. Pour les groupes écologistes, il est clair que la ville est confrontée à rien de moins qu’une urgence. Celia Fung Sze-laï, responsable des affaires de l’environnement pour l’Association des Amis de la Terre, concède que les extensions des décharges et les incinérateurs sont nécessaires, mais, dit-elle, ils ne devraient être introduits que dans le cadre d’une stratégie globale qui inclue la réduction des déchets, l’éducation, le recyclage et un système de taxes. « Nous devons éduquer les jeunes et leur apprendre que changer leur téléphone mobile trois fois par an n’est tout simplement pas viable », précise-t-elle.

Cependant la modification du comportement des adolescents sous l’emprise d’un marketing implacable et la pression de leurs pairs, ne se fera pas du jour au lendemain. Mme Fung a alors une suggestion plus immédiate: un système de tarification similaire à ceux mis en œuvre à Taipei et en Corée du Sud, où elle a pu observer le fonctionnement. Selon ce système, les Hongkongais devaient alors payer environ 2 HK$ pour un sac poubelle de 20 litres et le dépôt sauvage d’ordure serait alors surveillé et puni par des amendes sévères.

« Une fois que ce système est mis en œuvre pour les déchets ménagers, les taux montrent une baisse significative de 27,4% en Corée et 37,8% à Taipei », a-t-elle précisé. Mme Chan convient que une tarification des sacs poubelles serait un « outil politique puissant ». La semaine dernière, Le Secrétaire de l’Environnement Wong Kam-sing a promis d’introduire une taxe sur les MSW d’ici 2016. Une consultation publique sur la manière de percevoir les redevances est d’ailleurs prévue l’an prochain.

Mme Fung reste cependant sceptique. « En 2005, le gouvernement nous a dit que la taxation des déchets serait mise en œuvre en 2007 et nous attendons toujours ». La taxation des déchets ménagers a montré qu’elle avait un impact positif sur le taux de recyclage, mais il est intéressant tout de même de noter que Hong Kong possède déjà un taux de recyclage impressionnant. 48% des déchets de Hong Kong sont recyclés, ce qui place la SAR loin devant le Japon, la France et les Etats-Unis, et sur un pied d’égalité avec Singapour. Cependant, comme le souligne Mme Fung, « il n’y a pratiquement pas d’industrie du recyclage à Hong Kong. Nos déchets à recycler sont exportés vers la Chine continentale ».

Les chiffres de l’EPD confirment que seulement 1% du recyclage se produit à Hong Kong et que le reste est exporté. En effet, l’EPD vante le fait que l’industrie d’exportation des ordures permet un chiffre d’affaire annuel de 8,2 milliards HK$ (815 millions d’euros). Pour Mme Fung, des entreprises de déchets privées comme celle qui se trouve à Fortress Hill, sont aberrantes. « Vers ces déchèteries privées, des femmes âgées poussent des chariots de boîtes en cartons ou en aluminium qu’elles vendent pour compléter leurs revenus ».

Betty Leung Wing Hing s’occupe de ‘Wing Hing Gather Metal Waste and Paper’ à Fortress Hill depuis plus de 30 ans et accueille nombres de ces femmes. « Nous prenons tous leurs déchets. Nous faisons le tri. Les compactons puis nous les envoyons sur un gros bateau en Chine », explique-t-elle en montrant les derniers prix du kilo de ferraille au cours du jour – une sorte de Dow Jones pour les charognards locaux. « Cela revient à 0,08 HK$ pour une boîte de conserve et le continent devient très pointilleux sur toutes les saletés pouvant se trouver dans la boîte ». Elle précise cependant qu’elle ne reçoit aucune aide du gouvernement pour ce business. « Ces vieilles dames font le recyclage de Hong Kong et elles sont la seule raison pour laquelle le taux de recyclage est aussi élevé qu’il ne l’est », explique Mme Fung.

Photo : l’usine de traitement des gaz de déchets à Tseung Kwan O (SCMP).

Avoir des personnes âgées vulnérables qui fouillent dans les poubelles à la recherche de matières recyclables afin de compléter leurs revenus n’est probablement pas une image très glorieuse de Hong Kong. « Néanmoins, ces femmes méritent notre gratitude – sans leur travail acharné, les sites d’enfouissement aurait déjà débordés », précise Mme Leung. L’EPD insiste pour sa part sur le fait que le taux de récupération de 48% a été atteint grâce à une combinaison de programmes gouvernementaux, la participation communautaire et la participation des recycleurs. L’EPD affirme que le gouvernement a favorisé la réduction des déchets, la réutilisation et le recyclage.

Jo Wilson est la fondatrice de la communauté environnementale ‘Living Lamma’ et a une expérience pratique du programme de l’EPD qui vise à créer des ilôts de recycleurs dans les quartiers. Mais elle reste sceptique sur les ambitions réelles du gouvernement à propos du recyclage communautaire. « Le programme pour l’île de Lamma n’a pas été annoncé, aucune stratégie de communication n’a été mise en place ». Après que son groupe de bénévoles se soit impliqué avec le gouvernement en encourageant la participation de la communauté, le recyclage du verre par semaine est passé d’environ 15 kg à plus de 1,5 tonne, dit-elle. Les membres du groupe portent eux-mêmes le verre à un point de recyclage.  » C’est pas mal d’allers et retours pour un projet qui fonctionne seulement deux après-midis par semaine, dont le vendredi, où la plupart des habitants sont au travail ».

‘Living Lamma’ a également réussi à faire enregistrer les bars et restaurants locaux au programme. Mais, ajoute Mme Wilson, « il nous a été confirmé que, malgré nos efforts et notre succès, le test prendra fin le 30 Décembre [il devait continuer au moins jusqu'à la fin de Février: Ndlr]. Je veux penser que l’EPD reste sérieux au sujet du recyclage mais le fait est, que le gouvernement est le plus grand obstacle au progrès. Ils veulent juste faire des réunions pour faire de la com’, nous nous voulons du concret, des installations, pour que nous puissions mettre au travail la communauté autour d’un vrai projet ».

L’usine de traitement des biogaz des déchets à Tseung Kwan O ressemble elle plus à une installation militaire qu’à une décharge municipale, et est dotée d’une technologie, alliant 15 désodorisants, des vaporisateurs statiques automatiques de désinfection des camions, des postes de surveillance de l’environnement et une usine de traitement énorme pour faire face aux 2 500 mètres cubes de biogaz qui sont émis par le site chaque jour. « Ce n’est pas juste un trou dans le sol, c’est une solution bien conçue », explique Mme Chan, fièrement.

La plate-forme d’observation offre un panorama sur les véhicules d’épandage, les bulldozers, le compactage et le tamisage des déchets, tonne après tonne avant leur enfouissage dans la terre. Environ 5 000 tonnes de déchets sont traités par jour et l’usine tourne à environ 80% de sa capacité. Tout en bas, au centre du cratère géant se trouve un trou particulier, sur quelques 10 mètres de long sur trois mètres de large, se trouvent quatre ouvertures verticales. Il s’agit de la ‘tranchée de déchets spéciaux’, si vous êtes sensé, il vaut mieux ne pas regarder à l’intérieur. De là s’échappe une odeur horrible – comme un mélange de chou bouilli et d’eaux usées.

Les sites d’enfouissement sont une fatalité et loin des yeux, loin de l’esprit. À Hong Kong, cependant, il n’y a pas, ou peu, d’excédent de terres, et à environ deux kilomètres du centre de Tseung Kwan O, s’élèvent les cinq étages d’un grand bloc résidentiel, le ‘Lohas Parc’, qui bénéficient d’une vue plongeante sur l’ensemble du mouvement des déchets. « L’enfouissement est notre seule option, mais ce n’est pas durable », indique Mme Chan. « Comparé à la plupart des normes européennes, nous sommes loin en arrière ». Ironie du sort, non loin de là, dans le nouveau ‘Hong Kong Science Park’, se trouve une équipe de recherche scientifique avancée dans le traitement des déchets alimentaires en utilisant le raffinage. Cette équipe a récemment bénéficié d’une reconnaissance par des experts de partout dans le monde.

Carol S.K. Lin et son équipe de l’Université scientifique ont entrepris le projet, financé par la Commission à l’Innovation technologique et parrainé par la marque américaine ‘Starbucks’. L’idée était au départ de retraiter les moutures de café et les restes de produits boulangers dans une bio raffinerie spéciale qui va ensuite créer des éléments chimiques ayant à nouveau une valeur commerciale. Le programme a été étendu à tous les types de déchets alimentaires.

Les déchets alimentaires sont un gros problème à Hong Kong, ils constituent environ 35% des déchets solides municipaux. Et ce montant a été multiplié par 225% depuis 2002 – en raison de l’augmentation de la population et de la richesse. Parallèlement à la politique de prise en charge des déchets, la semaine dernière, Mme Chan a annoncé la création d’un Comité à l’alimentation Juste et Equilibrée pour Hong Kong, qui devra mettre au point les stratégies nécessaires pour atteindre une réduction de 10% des déchets alimentaires d’ici trois ans.

Tranquillement, Mlle Lin explique cependant que sa technologie développée, qui pourrait transformer les déchets alimentaires, par fermentation, en cristaux clairs d’acide succinique, pour la fabrication de bioplastiques, ne trouve ni financements ni intérêt. « C’est pourtant une urgence à Hong Kong. Il est encore difficile de trouver du financement, du fait que je suis une jeune universitaire (…) ce genre de recherche n’est pas très populaire (…) La technologie est assez mature. Si une entreprise ou le gouvernement pouvait construire une usine pilote à grande échelle, cela permettrait de réduire considérablement les déchets alimentaires à Hong Kong. On peut aussi faire de bons profits avec des produits utiles ».

Photo: la fondatrice de ‘Living Lamma’ Jo Wilson (à droite) et un membre de l’association, Nick Bilcliffe, emmenant des bouteilles en verre vers un centre de recyclage (SCMP).

Plus de 36 000 volontaires se sont déplacés cet automne pour l’opération ‘Clean Up Hong Kong’, organisée par Ecozine, durant laquelle 50 000 kg de déchets ont été retirés des plages, des parcs et des zones urbaines. Le nettoyage l’année dernière a attiré 12 000 participants. Le temps est cependant compté, et il y a un sentiment flagrant d’urgence dans l’air. Compte tenu de la réalité à court terme, quand on demande à Mme Chen quelle serait la date limite pour permettre de tenir les délais sans se retrouver dans une situation d’urgence, elle répond : « Hier, ça aurait été bien, mais l’année dernière ou même l’année précédente aurait été idéal», dit-elle, sans un sourire. Sur ce dossier, elle n’en a plus.

Le déni de la réalité est souvent le moyen le plus confortable de faire face à un problème complexe. L’inconvénient dans ce cas est que les ordures sont une bombe à retardement qui va exploser, et ce jour-là, Hong Kong devra forcément mettre le nez dedans. « Si nous pouvons étendre les décharges actuelles la bombe n’explosera peut-être pas. Nous avons besoin de gagner du temps, nous faisons de notre mieux pour pousser le dossier devant le Conseil Législatif », précise Mme Chan.

« Nous ne pouvons pas exporter nos déchets municipaux alimentaires à la différence du recyclage », précise Mme Fung, expliquant qu’il n’y a pas de marché pour cela – la partie continentale a suffisamment de difficultés pour faire face à ses propres déchets sans prendre ceux de Hong Kong. « Donc dans le pire des cas, les déchets devront à terme être jetés à la mer sous certaines conditions, avec des conteneurs immergés ».

Pour Mme Wilson ce pourrait ne pas être une si mauvaise chose que de laisser la bombe exploser. « Cela pourrait être un désastre pour les habitants de Hong Kong et ils se rendraient compte qu’il va falloir réduire nos déchets ». Elle a peut-être raison. Comme dit le vieux proverbe chinois, il a, « des gens qui ne se mettent à pleurer que quand ils voient le cercueil », ou dans ce cas, les sacs en plastique noir •

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